Isabelle Gillette-Faye : un combat contre les mutilations sexuelles
La journée internationale de la tolérance zéro à l’égard des mutilations sexuelles féminines aura lieu le 6 février 2025. Isabelle Gillette-Faye, directrice générale de la Fédération Nationale GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles, des Mariages Forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants) depuis 1990, nous éclaire sur les combats actuels pour éradiquer cette pratique.
Tandis que 230 millions de femmes dans le monde en ont déjà été victimes et que 68 millions de filles risquent de l’être d’ici 2030, la France s’apprête à lancer un plan régional inédit en Île-de-France pour intensifier la lutte contre ces violences.
Dans cet entretien accordé à Enflammé.e.s le 8 janvier 2025, Isabelle revient sur la médicalisation des MSF, les mariages forcés et l’éducation au consentement, tout en appelant à une mobilisation collective pour défendre les droits des femmes et des filles à l’échelle mondiale.
Isabelle Gillette-Faye, sociologue de formation, est une figure majeure dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Depuis 1990, elle occupe le poste de Directrice Générale de la Fédération Nationale GAMS, une association engagée contre les mutilations sexuelles féminines (MSF), les mariages forcés et d'autres pratiques traditionnelles néfastes. Elle a également été Cheffe de Projet du premier programme européen de lutte contre les mutilations génitales féminines. Entre 2019 et 2021, elle a aussi été membre du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, contribuant à des politiques publiques en faveur de l’égalité de genre.
Quels sont les derniers chiffres des MSF ?
Les chiffres récents révèlent une hausse alarmante : en 2024, on estime que 230 millions de femmes dans le monde ont subi ces mutilations, contre 200 millions en 2020. En France, environ 125 000 femmes en sont victimes. Ce chiffre reste stable, mais il met en lumière une forte concentration des cas en Île-de-France, particulièrement en Seine-Saint-Denis et à Paris. Cette localisation a conduit à l’élaboration d’un plan régional spécifique, qui sera officiellement lancé le 6 février, lors de la Journée internationale de lutte contre les MSF.
En quoi ce plan consiste-t-il ?
Il marque une rupture avec les initiatives précédentes, souvent trop générales. Il adopte une approche intégrée et locale, impliquant des acteurs variés : l’Agence Régionale de Santé, les cours d’appel, les services d’immigration et d’asile, ainsi que les associations spécialisées comme le GAMS. Une campagne de communication accompagnera le projet pour sensibiliser davantage les populations concernées. Ce plan s’appuie également sur la concertation : des commissions et groupes de travail ont permis aux différents intervenants de partager leurs besoins et suggestions.
Avons-nous des précédents de ce type en France ?
Non, c’est une première en France. Bien que nous ayons eu des campagnes nationales ou des plans interministériels axés sur les violences faites aux femmes, jamais un plan d’action spécifique aux MSF n’a été développé à une telle échelle locale. Cela s’inspire des initiatives européennes, où des plans nationaux existent depuis plusieurs années. En concentrant nos efforts sur une région fortement touchée, nous espérons des résultats plus concrets et mesurables.
Concernant la réparation des MSF, quel accompagnement proposez-vous aux victimes ?
Nous travaillons sur des unités pluridisciplinaires qui offrent un parcours complet. L’initiative « Réparons l’excision » propose des options variées : une chirurgie réparatrice pour celles qui le souhaitent, ou un accompagnement psychologique et sexologique pour celles qui préfèrent éviter la chirurgie. Ce projet sera officialisé le 8 mars prochain, bien qu’il soit déjà en place de manière officieuse. Notre but est d’informer les femmes sur leurs choix et de leur offrir un soutien adapté à leurs besoins.
Quels obstacles ces femmes rencontrent-elles dans leur parcours de réparation ?
Il y a des barrières culturelles et psychologiques. Beaucoup de femmes hésitent à recourir à la chirurgie par peur des jugements ou en raison de croyances. Notre rôle est de les informer sans pression, en expliquant que la chirurgie est une option parmi d’autres et non une solution unique. Certaines femmes cherchent avant tout une reconnaissance de leur douleur et un accompagnement psychologique.
Leurs retours sont-ils encourageants ?
Absolument. Certaines femmes témoignent d’un soulagement, tant physique que symbolique, après une reconstruction. Pour d’autres, l’accompagnement non chirurgical suffit à apaiser leurs traumatismes. L’essentiel est de leur offrir un cadre sécurisé où elles peuvent explorer leurs options en toute autonomie.
Quels défis la médicalisation des MSF pose-t-elle ?
La médicalisation est un problème majeur. En Égypte, les MSF sont presque exclusivement pratiquées par des professionnels de santé, ce qui banalise cette violence. Les familles y voient une alternative « moins risquée », mais cela ne change rien au fait qu’il s’agit d’une mutilation. Cette approche hygiéniste complique également notre argumentaire : comment convaincre que la pratique est inacceptable quand elle est réalisée dans un cadre médical aseptisé ? Cela nécessite de former les professionnels de santé pour qu’ils s’opposent fermement à ces pratiques, tout en sensibilisant les communautés aux dangers, qu’ils soient physiques ou psychologiques.
Quels sont les pays touchés par ce phénomène ?
Outre l’Égypte, la Guinée avait tenté de médicaliser cette pratique pour limiter les risques, mais cette stratégie a échoué : les familles ont vite compris que les enfants n’étaient pas réellement excisées, ce qui a renforcé la méfiance envers ce type d’approches. En Asie, notamment dans les pays musulmans, les MSF sont souvent associées à une idéologie religieuse justifiant la circoncision des garçons et l’excision des filles, ce qui renforce la médicalisation.
En 2020, environ 100 000 femmes en France étaient concernées par les mariages forcés. Cette situation a-t-elle évolué ?
Les chiffres restent stables, bien que difficiles à mesurer précisément. Ce qui change, c’est la manière dont les familles imposent ces unions. Plutôt que de forcer brutalement, certaines familles proposent plusieurs « options » à leurs filles pour leur donner l’illusion du choix. Cela reste une forme de coercition. Il est donc essentiel de sensibiliser les jeunes sur leurs droits et de leur montrer qu’il existe des alternatives.
Qu’en est-il des mariages forcés organisés à l’étranger pendant les vacances scolaires ?
Ces pratiques persistent, mais nous avons constaté des évolutions. Par exemple, des grandes sœurs ayant elles-mêmes vécu un mariage forcé jouent désormais un rôle clé en protégeant leurs cadettes et en les orientant vers des associations. Cela montre l’importance de la prévention et du soutien communautaire.
Adoptée le 7 mai 2024, la première directive européenne sur les violences faites aux femmes n’a pas inclus une définition commune du viol fondée sur l’absence de consentement. Qu’en pensez-vous ?
C’est une déception. En France, intégrer la notion de consentement dans la définition pénale du viol serait une avancée majeure. Cela ne retirerait rien aux critères existants (violence, contrainte, menace ou surprise), mais ajouterait un élément essentiel pour refléter la réalité des agressions. La loi est un outil pédagogique : elle ne se contente pas de punir, elle sensibilise et fait évoluer les mentalités.
La culture du viol* est encore ancrée dans les tribunaux. Comment y remédier ?
Tant que les notions de consentement et d’égalité ne seront pas mieux comprises, les viols continueront d’être banalisés. Il faut une prévention systématique dès l’enfance, couplée à une formation continue des magistrats, enseignants, forces de l’ordre et professionnels de santé. Cela passe également par des campagnes médiatiques pour sensibiliser le grand public.
Il faut vraiment que la loi Aubry du 4 juillet 2001 relative à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) qui impose au moins trois séances annuelles dans les écoles, les collèges et les lycées soit enfin appliquée.
Les plateformes numériques facilitent l’exploitation sexuelle, notamment des mineures. Quelles solutions proposez-vous ?
La maraude numérique est indispensable. Inspirée des méthodes utilisées contre les réseaux pédocriminels, elle permet d’identifier et de protéger les victimes. Mais cela doit s’accompagner d’une sensibilisation renforcée dans les écoles et d’un meilleur encadrement juridique des plateformes et surtout de financements conséquents.
Alors que la France revendique une diplomatie féministe, qu’en est-il de son impact réel ?
Sur le papier, c’est une ambition louable, mais dans la pratique, son impact est limité, notamment à cause des tensions géopolitiques. En Afghanistan, les droits des femmes reculent à une vitesse alarmante. Malgré cela, des militantes locales continuent de se battre, souvent au péril de leur vie. La France doit soutenir ces initiatives et maintenir une pression internationale.
-
Culture du viol : désigne un environnement social qui banalise, normalise et justifie les violences sexuelles, en les intégrant insidieusement dans le quotidien.
Elle repose sur des inégalités entre les sexes, des attitudes sexistes et des comportements qui minimisent ou excusent ces agressions.
Dans cette culture, le corps des femmes est perçu comme un objet destiné à satisfaire les désirs masculins. Les agressions sexuelles y sont banalisées dans les médias, réduites à des plaisanteries ou traitées comme des malentendus.
Source : ONU Femmes